Manifeste Pantopique
MMXXV
En ces heures turbulentes que connaît l’humanité, bien des initiatives, politiques, sociales, philosophiques, voient le jour dont nombre partagent un désir de paix, de dialogue, d’unité face aux immenses défis auxquels l’humanité fait face, qu’ils soient environnementaux, géopolitiques, économiques, technologiques, dont celui bien entendu de l’IA. D’autres cherchent plutôt à prospérer sur ce chaos qu’elles n’ont guère de mal à entretenir par leur désir tout opposé de division, de conflit, d’exploitation et de confiscation des biens communs… Ainsi va le monde.
C’est en ce temps complexe, et que nous dirons « renaissant », qu’a cheminé la Pantopie au fil des décennies. D’ateliers en entretiens, de conférences en rencontres, s’y est développée une pensée transversale aux savoirs, aux cultures, aux langages ainsi que son empreinte étymologique y invite puisque celle-ci s’y déclare de « tous les lieux ». C’est cette vision pantopique, porteuse d’un projet éducatif au sens large du terme, qu’esquisse ce Manifeste. Entre encyclopédagogie, conférences et carnets, il y dessine des voies visant à concourir à une forme de « croissance culturelle de l’humanité » tout en faisant confiance à la première des conditions enclines à lui donner jour : votre propre choix d’y concourir…
Prologue
Imaginez. Imaginez tous les savoirs du monde, que ceux-ci proviennent des mythes, des sciences, des croyances, des arts, qu’ils relèvent du corps, des émotions, de l’esprit. Oui, imaginez cette constellation de savoirs dont chacun serait un « lieu » [nous dirons ici un « pantopique »], et que vous vous trouviez naturellement en leur centre, les y accueillant tour à tour sans difficulté. Mieux encore y établissant des correspondances, des passerelles, des espaces de questionnement. Imaginez que cet encyclopédisme à la fois pratique & théorique, relevant d’une certaine « culture générale », ait une forte dimension éducative, visant à promouvoir une forme d’intelligence plurielle, respectueuse du monde, des autres, de soi. Imaginez enfin que le dépassement des bouleversements & turbulences du monde actuel y soit appréhendé de manière prospective, humaniste, collégiale… tout en y entrevoyant les signes d’une possible « Renaissance ». En imaginant tout cela, vous venez d’entrer dans un projet qui a pour nom : « Pantopie », lequel s’est constitué au détour de plusieurs décennies d’ateliers, d’essais, de rencontres. C’est à ce projet transversal, à son histoire inachevée et à quelques hypothèses d’évolution que ce Manifeste de la Pantopie est dédié, un Manifeste appelé à s’enrichir à la lumière de ce qu’il vous inspirera…
I - Pantopie
« Le centre du monde est partout et la périphérie nulle part ».Nicolas de Cues
1. Une époque renaissante…

Que penseront nos descendants des temps présents, nos temps ? Comment jugeront-ils les décisions que nous y aurons prises, ou celles que nous n’aurons pas jugé bon de prendre ? Que diront-ils de nos priorités, de la façon dont nous y aurons considéré certains défis, qu’ils soient environnementaux, géopolitiques, socio-économiques, ou des raisons pour lesquelles nous les aurons négligés ? Comment le tribunal de l’Histoire se prononcera-t-il au regard des souffrances & indignités que nous y aurons commises ou admises ? Comment y sera évaluée la manière dont nous aurons accompagné les changements profonds de nos sociétés tandis que des équilibres majeurs y auront été revisités – l’on y pointera entre autres l’avènement de ladite « intelligence artificielle » ? Oui, à quels enthousiasmes éventuels, à quelles critiques probables aboutiront-ils qui, on peut le supposer, ne seront pas non plus dénués d’approximation à notre sujet ou de méconnaissance des contradictions de notre époque [comme de toute époque en vérité] ?
Dans ce flot de questions se glissent bien des réflexions. Certaines renvoient à ce qui relève de notre responsabilité contemporaine, ou au contraire de formes diverses d’indifférence ou d’aveuglement. Et alors que nombre mettront en lumière les inégalités de tous ordres, d’autres avanceront les tentatives de les réduire, les combattre. De la même manière, même si tant de cupidité et d’indécence envers la dignité du vivant viendront à l’esprit, masquerons-nous pour autant les élans de générosité & de bienveillance qui sont à l’œuvre ? « Contradictions » disions-nous ? Pour le moins, où chacun ira de son registre d’engagement ou de désengagement, de profit et de confort personnels ou de souci solidaire. Or c’est dans ce flot de tous les possibles, que se formule le premier postulat de ce Manifeste. Il y apparaîtra sous les formes d’une question que l’on pourra juger anachronique : Et si nous vivions une période de « Renaissance » ?
Afin d’éviter tout malentendu, prenons le temps de définir cette notion [on dira plutôt ici de l’indéfinir – III] :
Renaissance - Indéfinition : Période caractérisée par des bouleversements profonds, souvent brusques, parfois violents, affectant les équilibres structurels de la société [ou du monde], et au cours desquels de nouvelles orientations émergent, guidées par des essais de résolutions ou la nécessité d’un renouveau. Cette phase de transformation n’est pas toujours visible aux yeux de ses contemporains, a fortiori lorsqu’ils sont porteurs ou victimes des bouleversements évoqués. Il n’en demeure pas moins qu’avec le recul de l’Histoire, la période concernée apparaît comme une charnière décisive ayant conduit à un renouvellement majeur de tout ou partie des composantes définissant nos sociétés : politique, économique, juridique, technologique, sociale, environnementale, artistique, spirituelle… Un apparent paradoxe semble enfin indiquer qu’une telle mutation puisse également s’opérer en partie plus ou moins conséquente par un rappel de certaines valeurs associées au passé laissant penser à certains – à tort ou raison – que la renaissance peut inclure un rejet plus ou moins fort de la modernité.
Ainsi introduit, le Manifeste dit « pantopique » partira donc du postulat que nous vivrions aujourd’hui une telle époque renaissante, et cela à un niveau planétaire, soulignant qu’une telle période appelle à une transformation de nos modes de penser, d’agir, de communiquer et tout autant voire plus d’éduquer. Nous nous proposons de présenter un projet à partir de cette idée. Nous avons nommé ce projet : « Pantopie ».
2. La Pantopie : une idée de « tous les lieux »…

Le terme de « pantopie » lui-même pouvant questionner, nous prendrons dans un instant [à notre bonne coutume désormais] le temps de l’indéfinir. Et qui de mieux pour nous y introduire qu’un maître es pantopie, en l’occurrence Michel Serres [auteur de Pantopie : de Hermès à petite poucette], qui confiait : « Cette « pantopie » renvoie à un nouveau mode de pensée : une pensée embrassant la totalité du monde et, donc, d'un savoir universel. C'est, en quelque sorte, l'utopie de demain, laquelle consiste non plus à imaginer d'autres lieux, mais à penser, virtuellement, tous les mondes possibles […] »1
Rappelons ici que « l’utopie » renvoie par son étymologie à un « lieu imaginaire », à un « nulle part » [même si son créateur Thomas More associait également l’idée d’un « bon lieu »]. Et puisque nous évoquons les déclinaisons possibles, associons également le terme de « dystopie » lequel désignera « un avenir sombre » [ce ne sont pas les avalanches de créativité en ces domaines qui feront défaut !]. Toutes deux contribuent à inspirer le cap pantopique. Nous ne saurions en effet masquer notre intérêt pour de nouvelles utopies, a fortiori dans un monde incertain et confus comme le nôtre. Ernst Bloch ne nous avertissait-il pas que « l’on a besoin de la longue-vue la plus puissante, celle de la conscience utopique la plus aigüe, afin de pénétrer la proximité la plus proche » ? De même, nous ne saurions négliger l’apport dystopique dont bien des projections semblent bénéficier d’une concrétisation précoce.
Cependant l’approche pantopique s’en distingue dès son étymologie même, puisqu’elle pointe pour sa part l’idée de « tous les lieux » ainsi qu’il en va du grec pan-, pantos : « tout », et topos : « lieu ». La démarche proposée invite à considérer l’infinité de lieux qui composent, ont composé, ou composeront la réalité du monde, et de nous y demander quelles interrelations nouvelles nous aimerions établir entre tous ces « mondes possibles », ainsi que le relevait Michel Serres. La Pantopie se conçoit ainsi par nature et par vocation à la rencontre de ces mondes et de leurs interactions, que celles-ci soient apaisées ou conflictuelles. Elle y défend une approche qui trouve sa pleine expression dans sa devise : « Le centre du monde est partout et la périphérie nulle part ». Une indéfinition en résulte :
Pantopie - Indéfinition : Manière de penser et vivre le monde en sa pleine diversité accordant à chaque lieu, à chaque être, l’importance et la dignité auxquelles il a droit, tout en le replaçant dans un vaste réseau de correspondances spatio-temporelles, de reconnaissance mutuelle et de responsabilité commune où il prend tout son sens.
3. Diversité, dialogue, récit : un triptyque fondateur…

La Renaissance telle que nous la percevons, constitue le cadre historique d’une telle prise de conscience. Nous ne règlerons aucune des problématiques présentes ou à venir qu’elle soit celle du réchauffement climatique, des conflits armés ou d’un avènement disruptif de l’IA dans la sphère sociale, économique et juridique, sans une considération de « tous les lieux », de leurs potentielles oppositions voire confrontations, de leurs irréductibles singularités, mais aussi de leur possible convergence. La Pantopie ne se projette donc ni dans un monde idéalisé de nature utopique, ni davantage dans un futur déconstruit et dystopique, mais dans ce monde tel qu’il nous questionne en sa diversité d’être et d’entreprendre. D’ailleurs, c’est bien avec ce dernier terme que se présente un triptyque fondateur de la démarche pantopique : « diversité – dialogue – récit ».
La diversité tout d’abord gagne selon nous à être appréhendée non pas idéologiquement, martelée comme un mantra, mais de manière pratique, concrète, en ce sens qu’elle est constitutive de notre environnement naturel & culturel [biodiversité et diversité culturelle], renvoyant à l’extraordinaire richesse qui s’y est sédimentée. Qu’elle soit à l’évidence source de problèmes aux yeux des uns en raison de la complexité qu’elle engendre et de la possible difficulté à la contrôler, voire à la dominer, ou qu’elle soit hautement souhaitable aux yeux des autres au vu des interactions fructueuses qu’elle peut susciter, constitue un cadre ambivalent que la Pantopie entend prendre en pleine considération.
Cette considération en appelle selon nous à de nouvelles instances quotidiennes & renouvelées d’un dialogue authentique, exigeant, apte à confronter les points de vue, à atténuer leur conflictualité, à faire fructifier leur entente. Un tel dialogue suppose un travail essentiel sur des dynamiques de médiation dont l’époque contemporaine semble tragiquement en mal.
C’est ici que la Pantopie s’appuie sur un dernier élément qui en complète le triptyque fondateur : celui de récit. Entendons par là non seulement la prise de parole de chacun porteur de son histoire, une parole idéalement libre et respectueuse de celle d’autrui, mais un contexte plus large renvoyant à la constitution de récits collectifs, mythologiques, historiques, politiques, éducatifs… Leur connaissance, comme leur méconnaissance, sont au cœur des humanités, source de compréhension mutuelle comme de leur rejet réciproque. La Renaissance se doit dès lors de contribuer à ce récit des récits, afin d’y dépasser les affrontements stériles et les dérives partisanes, sans renier pour autant la singularité propre à chaque entité, à chaque porteur de récit dans la trajectoire qui fut et demeure sienne.
Trois indéfinitions s’y associent :
Diversité - Indéfinition : Etat plus ou moins observable de la pluralité des composantes constitutives d’un espace, un groupe, un phénomène, un système – Par-delà sa présence naturelle, et l’évidence qu’elle incarne pour certains, la diversité peut susciter un jugement enthousiaste portant sur leur mosaïque et les interactions qu’elles offrent, sources d’enrichissement réciproque, de dialogue, d’échange, ou au contraire une méfiance, voire une hostilité, relevant de l’hétérogénéité qu’elles représentent, susceptible de heurter un désir idéologique, politique ou autre, de moindre écart entre les dites composantes.
Dialogue - Indéfinition : Instance de parole et d’échange par laquelle deux protagonistes ou plus participent à une mise en commun fondée sur le partage des idées, savoirs, opinions, prenant en considération et parfois dépassant d’éventuels désaccords – Le dialogue prend tout son envol et sa raison d’être dans la volonté mutuelle, dynamique et apaisée d’y puiser sens et énergie – Il devient encore plus essentiel lorsqu’il ne bénéficie pas d’emblée d’une adhésion de la part d’une ou plusieurs des parties en présence, appelant à trouver les moyens et les raisons d’en saisir l’opportunité.
Récit - Indéfinition : Narration d’événements, d’expériences ou encore d’aventures, réelles ou fictives, prenant forme de textes écrits, d’histoires orales, de films, de pièces de théâtre, de jeux vidéo ou d’autres médias, visant à captiver un public en transmettant une intrigue, un message. S’ils servent souvent à susciter des émotions et divertir, les récits contribuent également et puissamment à éduquer et transmettre des valeurs tout en favorisant leur questionnement & leur maturation. La capacité à créer des récits est inhérente à l’épopée humaine et joue un rôle central dans la communication au sein des groupes & de chaque société, comme plus largement dans les interactions planétaires.
4. Le choix de la « culture générale »…

À l’instar de ce que nous venons d’évoquer, un terme se sera progressivement inscrit dans ce propos : celui de « culture générale ». Il se peut certes qu’à son énoncé l’on songe immédiatement à une accumulation de connaissances, réservée à qui aura le temps ou le loisir de s’y employer, et qui servirait à briller dans une conversation de salon, de bistro ou de Blablacar®. On aura toutefois deviné que son introduction à ce stade du Manifeste, renvoie à une perspective bien différente. En dirons-nous plutôt :
Culture générale - Indéfinition : Ensemble de savoirs et de dispositions de corps, d’émotion ou d’esprit, par lesquels nous établissons une relation curieuse et respectueuse au monde, en tentant de construire et actualiser une grille de compréhension de ses équilibres et déséquilibres, tout en supposant le plaisir d’y naviguer ainsi que les conditions, les rencontres et le temps requis pour y parvenir – Sollicitée dans les contextes les plus variés, qu’ils soient privés ou professionnels, diversement assistée par des moyens de transmission, d’accès ou de traitement selon les époques, la culture générale contribue ainsi à questionner et éclairer notre rapport quotidien au monde, aux autres et à soi.
La Pantopie porte un défi de culture générale, dans notre « rapport quotidien au monde, aux autres et à soi ». Elle suppose cette « disposition de corps, d’émotion ou d’esprit » dont la Vie elle-même dans son renouvellement continu offre l’infinie possibilité. Elle se veut humble, holistique et heuristique.
Humble, car la question n’est pas d’imposer un savoir, théorique ou pratique, ni encore moins se désoler de ne pas l’avoir acquis. Mais de considérer toutes les sources susceptibles de l’accroître avec bonheur. Une forme de « croissance culturelle de l’humanité » est susceptible d’en résulter [II]. Holistique, car le choix pantopique est celui d’une forme de généralité qui ne contredit en rien une spécialisation quelle qu’elle soit, mais la précède, l’environne et lui succède. Cette culture générale holistique ne présuppose plus alors des savoirs utiles et d’autres qui le seraient moins, mais accueille l’extrême diversité des savoirs possibles, charge au carnet pantopique [VII] de les agencer, les organiser pour demain ou plus tard. Enfin le caractère heuristique de cette approche, entendons son encouragement à la découverte, procède de la beauté de toute rencontre qu’elle soit physique ou mentale, scientifique ou imaginaire…
L'ensemble de ces perspectives ouvre la voie à une forme de propédeutique, tremplin pour accéder à toute forme de savoir en établissant un réseau d’innombrables correspondances culturelles, linguistiques, scientifiques, philosophiques, etc. Un axe pédagogique s’y affirme [III].
5. Objectifs du Manifeste pantopique …

Ainsi que nous venons de l’introduire et que ce Manifeste va continuer à en développer les axes, le projet pantopique s’inscrit dans le temps long des humanités tout en y formulant une hypothèse que d’aucuns jugeront ambitieuse, d’autres audacieuse, et ceux-là encore… utopique, voire chimérique, en somme bien peu lucide sur le réalisme indispensable à toute « réussite ». Satish Kumar, écologue spirituel, avance néanmoins fort justement :
« Voyez ce que les réalistes ont fait pour nous. Ils nous ont mené à la guerre et au changement climatique, à une dimension inimaginable de pauvreté, à une destruction globale de l'environnement (…) Je dis aux gens qui me traitent d'« irréaliste » de me montrer ce que leur réalisme a fait. Le concept de réalisme est dépassé et exagéré. »2
Comme on l’aura deviné et comme il en va de cette initiative depuis ses débuts, c’est dans les mains des réalités futures que nous plaçons le jugement ultime lequel sera seul apte à dire comment ce projet a, ou non, poursuivi son déploiement ou sa transformation en fonction des propositions, opportunités & contraintes. Il paraissait cependant important après des décennies d’investigation pantopique et à l’issue du cycle 2021-2026 des « Dialogues du 21 » [II], de tenter par le présent propos d’en préciser les objectifs & moyens.
Il serait alors assez trivial de déclarer que ce projet vise à contribuer à la paix, au respect du vivant, à un questionnement sur les voies d’un progrès plus responsable, même si ces axes en tout point essentiels méritent à être rappelés. En revanche, il est utile de préciser comment nous entendons y conduire. Après ces propos liminaires mettant en perspective l’hypothèse d’une « renaissance » [I], le prochain volet tiendra à l’idée d’œuvrer à une « croissance culturelle de l’humanité » [II], elle-même s’appuyant sur une dimension éducative forte que nous avons nommée « encyclopédagogie » [III]. Après quoi, nous poserons le défi des intelligences, tout spécialement à l’heure de l’IA [IV], tout en éclairant un des outils constants de la démarche pantopique dans sa relation à « 5 temps » : écouter, connaître, comprendre, se comprendre et communiquer [V], déclinaison que nous appliquerons à tout « lieu » pantopique qu’il relève d’un événement, d’un site naturel ou culturel, d’une personne ou de toute autre entité, etc. Ceci étant distribué, constituant une palette d’axes & de moyens, il sera temps d’avancer une carte maîtresse du chemin envisagé, celle de la « Conférence pantopique » [VI], visant à accueillir l’ensemble des précédentes déclinaisons. Il nous restera alors à identifier un compagnon proposé au suivi de toute aventure pantopique, que nous avons désigné comme le « Carnet pantopique » [VII], à mi-chemin entre un répertoire personnalisé de toutes les formes de savoirs, un agenda de leurs possibles points de rencontres, et un appel constant à la créativité. Une métaphore conclura le Manifeste [VIII].

II - Vers une croissance culturelle de l’humanité
« La qualité que doit avoir un bon dictionnaire est de changer la façon commune de penser. » - Denis Diderot
1. Qui a dit « croissance » ?

Le projet pantopique même s’il porte des avis engagés, ne s’inscrit ni dans une opposition à d’autres modèles, ni davantage dans leur dénonciation. La Pantopie par vocation formule une voie parmi ces possibles tout en s’enrichissant de leur multiplicité. Il n’en demeure pas moins que l’axe de « renaissance » que nous postulons tient à la considération de certains freins ou blocages à l’œuvre dans les temps contemporains. Or quoi de plus explicite que le terme de « croissance » et les affrontements qu’il suscite, pour illustrer ces tensions ? Le cadre de cette rivalité tient à l’idée même, conflictuelle s’il en est, que l’on peut se faire de cette notion dès lors qu’elle est ramenée à sa seule composante économique et/ou financière. Les uns argumentent sa défense en affirmant que toute réduction ou ralentissement d’une telle croissance affaiblit ou détruit des équilibres sur lesquels repose la bonne marche des sociétés actuelles. Leurs détracteurs, appuyant sur l’idée d’une « décroissance » [voire d’une « a-croissance »], leur rétorquent que c’est là un aveuglement que l'économiste Kenneth Boulding a mis en mots en déclarant : « Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » Soutenant l’effet de ruissellement des richesses d’un côté, pointant l’accaparement & l’épuisement des ressources ainsi que leurs conséquences sur les déséquilibres majeurs du monde d’un autre, le terme de « croissance » n’en a donc pas fini d’alimenter les débats les plus enflammés. Or un changement de perspective quant à son emploi ne peut-il pas concourir à le reconsidérer ? Qui de mieux une nouvelle fois que Michel Serres pour en imager le principe :
« Si tu as un pain et moi un euro, et que j’utilise mon euro pour acheter ton pain, à la fin de l’échange, j’aurai le pain et toi l’euro. Cela semble être un équilibre parfait, n’est-ce pas ? Au début, A possède un euro et B un pain ; ensuite, A a le pain et B a l’euro. C’est une transaction juste, mais purement matérielle. Maintenant, imagine que tu possèdes un poème de Verlaine ou que tu connais le théorème de Pythagore, et que moi, je ne connais rien de tout cela. Si tu me les enseignes, à la fin de cet échange, j’aurai appris le poème et le théorème, mais tu continueras à les posséder également. Dans ce cas, il ne s’agit pas seulement d’un équilibre, mais d’une véritable croissance. Dans le premier exemple, nous avons effectué un échange commercial ; dans le second, nous avons partagé des connaissances. Alors que les biens matériels se consomment, la culture, elle, se diffuse sans limites. » - Michel Serres
Outre que cette parabole retient au passage la transformation abusive de notre réalité agissante en espace de consommation [ou de surconsommation], quoi de plus explicite que l’esquisse de ce mouvement d’échanges & de partages ! Nous le qualifierons ici de : « croissance culturelle de l’humanité » [ci-après CCH]. Le cadre pantopique se profile alors entièrement sous de tels auspices : celui de favoriser une quête constante, continue, distribuée tout au long de la vie, laquelle pour peu qu’elle soit mieux accompagnée structurellement, pourrait globalement concourir à une « croissance » vertueuse [source d’éveil, d’activité, d’employabilité…], tout en consolidant individuellement une plus forte « culture générale » [I].
2. 15 actes pour y concourir…

Fidèles à la visée pantopique et à ses qualificatifs d’holistique & d’heuristique, nous aurons pris le temps durant le cycle 2021-2026 des « Dialogues du 21 » d’approcher un certain nombre de dimensions susceptibles de participer à une telle croissance. Nous y aurons ainsi convié au fil de 15 Actes successifs, tout à la fois des myriades de mots, mais aussi de témoins [près de 3000], de récits, de rencontres… Donnant lieu à la production d’émissions, d’interviews, de posters, de sceaux, d’indéfinitions [III]…, chacun de ces Actes aura visé à configurer l’approche pantopique de la croissance culturelle. Voyons-les brièvement…

Pour une croissance culturelle de l’humanité
[au regard des 15 Actes du cycle 2021-2026 des « Dialogues du 21 »]
Acte 1 – C’est dans la diversité & le dialogue, c’est aussi dans le partage d’une infinité de récits, que la [CCH] puise ses premiers élans. Chaque prétexte qu’il soit celui d’un mot, d’une pensée, d’une action, peut y convier le regard, charge à celui-ci de sortir d’un enfermement exclusif, charge à chacun de nourrir de telles rencontres par une volonté de découverte & de compréhension mutuelles. Evocation d’un « jardin », de la fabrication de la « bière », de la signification d’une « valise », d’un « lieu de culte » ou des voies de la « non-violence », qu’importe le motif, le postulat de départ de la [CCH] est celui de l’échange, de la communication des savoirs & des idées à partir desquels tout devient ou redevient possible…
Acte 2 – Aucun projet humain, aucun projet terrestre, ne peut se concevoir sans répondre aux enjeux environnementaux. On peut certes rêver de la conquête de nouveaux espaces interstellaires [réservée à quelques-uns] et cela pourrait bien un jour concourir à notre sauvegarde commune. Toutefois n’est-il pas tout aussi raisonnable de préserver en premier lieu la Vie là où elle s’est manifestée et de quelle sublime manière ? Revenir à la Vie que les cultures du monde ont pour beaucoup d’entre elles honorée de leur estime, de leur respect fondamental. Nous avons la responsabilité commune de changer un certain nombre de caps afin de préserver cette Vie, la protéger des avidités qui la menacent. Le ferons-nous ? La [CCH] s’y interroge au regard des innombrables savoirs & sagesses que nous aurions sans doute grand intérêt à retrouver, ainsi qu’au vu des innovations vertueuses, et des initiatives engagées plus nombreuses qu’on ne le dit, enclines à leur succéder…
Acte 3 – La [CCH] trouve dans la langue, dans les langues, et plus largement les langages, codes, systèmes sémiotiques, l’un de ses socles les plus fertiles. Il incombe aux générations présentes [lesquelles devraient se déclarer « générations aux 7000 langues » – titre hélas bien fragile] de comprendre que ce patrimoine, en danger, n’est pas un décor inerte. Comprendre avec l’accompagnement de personnes investies dans ces champs, par passion, amour, que lorsqu’une langue disparaît, c’est l’humanité entière qui s’appauvrit. Comprendre également que cette présence des langues devrait s’inscrire plus largement dans notre relation quotidienne aux autres, au monde. Occasion constante d’en découvrir les richesses infinies qu’elles soient orales, écrites, gestuelles… ainsi que l’éclairage qu’elles peuvent porter sur nombre de nos entreprises par l’intermédiaire d’un mot, d’un concept, d’une expression, d’un proverbe. Autant de relais assemblant l’humanité dans sa volonté de dire, et d’en renouveler constamment le champ…
Acte 4 – D’un âge à l’autre se succèdent les sciences. Avec elles, des lois se formulent dont certaines seront réfutées à plus ou moins longue échéance, renvoyant au statut de toute « vérité » scientifique. Avec elles, des compréhensions progressent parmi lesquelles certaines connaîtront des mises en application plus ou moins conséquentes. Avec elles, des changements s’opèrent qui affecteront la société, la nature, le travail… C’est à cette place majeure des sciences, non seulement dans l’architecture du savoir, mais dans les équilibres de nos sociétés, que la [CCH] accorde ici son plein intérêt. À la clé, une prise en considération de l’importance d’une relation aux sciences instruite et éclairée ainsi qu’à leurs interactions avec les autres dimensions de la [CCH].
Acte 5 – Qu’est donc le pouvoir sans la justice ? Quelle serait cette coquille vidée de son âme ? La [CCH] questionne ce rapport étroit en empruntant ici les chemins de la justice tout en tenant compte de la diversité des systèmes mis en place tout au long de l’aventure humaine. Prendre en considération ces systèmes peut être en effet d’un grand concours aux relations qui nous assemblent ainsi qu’aux progrès que nous pourrions réaliser au regard de tant d’injustices sur lesquelles nous fermons les yeux, souvent faute de mieux…
Acte 6 – Signes, signaux & symboles nous entourent de leur omniprésence. Qu’ils soient graphiques, sonores, tactiles, cette forêt de signes puise ses racines dans le plus lointain de nos histoires collectives, mais aussi individuelles. En traverser l’espace, c’est assurément risquer de s’y égarer tant la forêt est immense, tant les chemins s’y croisent dans tous les sens. La [CCH] peut toutefois participer à nous en faire découvrir sinon les mystères, en tout cas les formes & traces, nous instruisant de leur étonnante assemblée.
Acte 7 – Accéder au sens est au cœur des humanités. C’est bien là une grande partie de notre activité permanente. Certains y excellent, d’autres un peu moins. Mais que dire de notre espèce dans son ensemble, entendons de la place qu’y prend cette relation à la signification dans le jeu de la vie ? L’Acte 1 s’y est avancé en prenant appui sur quelques rencontres, les suivants n’ont fait qu’en amplifier le besoin. Oui, l’être humain est quêteur de sens et c’est pourquoi la [CCH] place ici l’une de ses plus grandes espérances : celle de trouver ou retrouver la voie du sens. Non pas d’un sens imposé, établi sans notre concours, mais d’un sens réfléchi, discuté. Un sens qui tient compte de la variété de nos définitions ou indéfinitions comme on se plaît à les nommer ici [III]. Un espace de rencontres & d’échanges fabriquant un dictionnaire hautement personnel, évolutif, reflétant la richesse de la vie.
Acte 8 – L’Histoire n’est pas posée indépendamment de qui la partage. L’Histoire qu’elle soit celle d’une société, d’une famille, a fortiori du monde, appelle à des interprétations, des colorations, des partis pris pouvant inclure certains préjugés et a priori. L’histoire n’est pas univoque. Elle est le reflet des pouvoirs & des chroniques qui en ont restitué le cheminement, les épisodes successifs faits de conquête, de gloire, d’effondrement. C’est en songeant à la diversité & à la complexité de ce matériau que la [CCH] avance, avec d’autres, la suggestion d’une Histoire ouvertement plurielle. Une Histoire mettant en parallèle ces lectures distinctes, différenciées et parfois antagonistes, socle non pas de leur arbitrage mais de leur saisie concertée.
Acte 9 – Alors que l’art nous renvoie à une constellation de réalités, d’imaginaires, de fabriques, de destins, de révélations, de transmission… la [CCH] sait pouvoir ici compter sur l’un de ses plus fidèles alliés. L’art accompagne l’humanité de lointaine antiquité, et la convie en tous lieux et toutes époques, à se dépasser elle-même. Qu’il soit sacré ou profane, qu’il soit enfantin, naïf, académique, maîtrisé, qu’il soit le fait d’une âme solitaire, d’une Ecole ou d’un collectif, son omniprésence, son caractère puissamment pantopique, nous rappellent à tous les questionnements qui le traversent. Pendant que certains plus que jamais s’interrogent sur ce que signifie « créer » dans un monde environné d’IA productives, il est décisif de replacer l’art, les arts, au cœur d’un processus où se révèlent l’intention, l’animation, les doutes, les cheminements lents ou fulgurants, qui en ont porté les valeurs au plus haut.
Acte 10 – Nous recevons en héritage quantité de patrimoines. Les listes établies par l’UNESCO sont explicites de cette richesse inouïe, même si elles n’en représentent bien entendu qu’une partie. Que ces héritages soient naturels ou culturels, que ces patrimoines soient matériels ou immatériels, qu’ils nous transmettent des édifices ou des idées, des paysages grandioses ou des traditions locales, leur concours est décisif à la capacité individuelle à nous y situer, quelque part dans le monde ou dans son mouvement. La [CCH] se pose avec force devant ces patrimoines et nous invite certes à les apprécier dans leur singularité, leurs valeurs propres, mais aussi et surtout à les entrecroiser, à opérer leur tiss’âge de terre, d’eau & de feu, de montagne, de fleuve, de couleur, de murailles, de bois & de verre, de saveurs & de sons… Tiss’âge grâce auquel nous pouvons peu à peu nous relier à un héritage commun tout autant qu’à sa transmission aux générations qui viennent.
Acte 11 – Est-il anecdotique que l’une des questions les plus abyssales, et les moins évidentes à résoudre, l’une des questions les plus communes à une grande majorité d’êtres humains, entendons celle de la spiritualité, soit aussi l’une des plus propices à les diviser, les opposer ? Comment parvenir à réunir autour d’une même table, d’un même projet de concorde ceux & celles qui en vivent dans leur âme et souvent leur chair toute l’exigence ou la révélation ? Peut-être en prenant de plus en plus conscience, et en premier lieu connaissance que bien des principes universels nous assemblent, nous relient par-delà le cadre légitime d’une croyance ou d’une incroyance. La [CCH] s’attache tout spécialement à apporter sa contribution à cette connaissance en meilleur partage.
Acte 12 – L’IA triomphe. D’aucuns nous rappelleront qu’ils nous en avaient prévenu de longue date, tout en s’en réjouissant, ou en s’en désolant. D’autres ironiseront sur ce triomphe très fragile et, selon eux éphémère. La [CCH] se doit de participer à une démarche moins dogmatique, plus pragmatique. Qu’attendons-nous de l’IA ? Quel monde voulons-nous ou ne voulons-nous pas vivre avec elle ? Cette volonté aura-t-elle quelque raison d’être entendue dans une histoire largement dérégulée où des acteurs économiques et/ou politiques ont pris une bonne part des commandes ? C’est à notre avis par une forme de lucidité actualisée, de prise en compte de la complexité d’un tel questionnement, qu’une voie certes étroite peut être empruntée. Elle requiert diverses conditions dont en premier lieu, une assemblée sémiotique des humanités, exceptionnelle dans sa forme comme dans sa convergence. Mais aussi de nouveaux moyens de représentation permettant d’échapper à la confusion qui n’a pas tardé à pointer le bout de son nez et qui se révèle en particulier dans un usage trouble du langage. « Créer » disions-nous ? « Savoir » ? « Penser » ? « Décider » ?… Est-il un seul de ces termes qui ne nous en avertisse ? Bien entendu, œuvrer à ce questionnement suppose d’en accepter l’effort [ou mieux, d’en éprouver le plaisir] en lieu et place du confort que promettent tant d’usages gadgétisés et de consommations hautement personnalisées et énergivores.
Acte 13 – La mosaïque des métiers est fascinante et elle est l’une parmi les expressions les plus représentatives de l’épopée humaine. Dans leur création souvent opportune, dans le « service » qu’ils rendent par nature même, et tout autant dans leur renouvellement continu [et que l’heure de l’IA ne saurait contredire], les métiers appellent à des choix, des décisions. Ils incarnent des parcours, des formations, des apprentissages, des rencontres, des épreuves aussi. Oui, la mosaïque des métiers est fascinante par tout ce qu’elle nous donne à penser de nos équilibres tout à la fois collectifs & individuels. Et c’est bien là que la [CCH] trouve son appui, là c’est-à-dire dans l’enchevêtrement souvent inconscient de tous ces métiers dont le dysfonctionnement de l’un d’entre eux qu’il soit porteur/se d’eau, de message, ou de paix, entraîne souvent la chute de bien d’autres. Prendre conscience de cette balance presque secrète tant elle est discrète, n’est pas sans nous rappeler à l’ensemble des Actes qui précèdent, à tous les tiss’âges qui s’y sont révélés et sur lesquels la [CCH] vise à se fonder…
Acte 14 – Assurément le temps de la synthèse, au rappel de tous les Actes qu’elle souhaite valoriser, est un aboutissement logique de la [CCH]. Une synthèse dont nous gagnerions à ne pas figer les formes, les moyens, les laissant ouverts à la plus large créativité. Une synthèse reflétant en quelque sorte qui l’entreprend, personne ou communauté, dans toute la singularité d’une interprétation unique, irréductible à toute autre. Le matériau de cette synthèse n’est-il pas en perpétuelle actualisation grandissant avec la [CCH] elle-même, et les questionnements voire les quelques résolutions qu’elle accueille ? Alors peut-être quelque part, dans l’espace des humanités, se manifestera une lecture transversale à toutes ces synthèses, une synthèse des synthèses en somme, non moins provisoire et inaccomplie…
Acte 15 – Peut-il y avoir d’autre convergence à la démarche entreprise dans le cadre de la [CCH] que celle de l’éducation ? D’une éducation non pas substitutive, mais complémentaire, accompagnatrice de tous ces élans, toutes ces entreprises qui au fil des millénaires ont tenté de produire les formes les plus diverses de pédagogie, souvent avec brio. Nous nommerons ici cette ligne complémentaire : « encyclopédagogie ». Entendons une éducation orientée vers l’ensemble des savoirs, savoir-faire, savoir-être… Une éducation associant l’esprit au corps et aux émotions, tout en accordant son attention la plus aiguë à toutes les formes d’assistance technologique et à la vigilance critique que celles-ci devraient susciter. Une éducation tout au long de la vie qui, à l’instar de la synthèse opérée, se place au service des humanités et de leur dialogue en leur diversité de savoirs, d’arts, de sciences, de spiritualités… Une éducation enfin où la force du récit, d’un récit à taille humaine, occupe une place centrale. Ceci suppose peut-être un autre changement de perspective qui tient à l’appartenance même à l’humanité, tout un défi en soi…
3. Habiter la maison commune de l’humanité…

Ainsi évoquée, cette appartenance à l’humanité nous renvoie, une fois encore, au regard que de lointaines générations porteront sur notre époque. Ne nous risquant pas à prophétiser quelles convergences ou au contraire quels éclatements elles auront vu se produire au cours des âges, nous imaginerons que le cadre actuel des quelques 200 nations qui composent la mosaïque planétaire aura de quoi les interroger. Se penchant sur ce contexte propre à notre temps, qu’y retiendront-elles, entendons par rapport aux objectifs qui nous occupent ici ? Y relèveront-elles la force et la fréquente beauté des identités singulières, morcelées dans une constellation d’appartenances nationales, mais aussi régionales voire plus locales ? Y observeront-elles la palette des critères concourant à ces marques identitaires qu’ils soient linguistiques, ethniques, géographiques, religieux, politiques… ? Y trouveront-elles une grande part des matériaux enclins à nourrir la croissance culturelle, puisant dans leurs spécificités, leur diversité, les dialogues auxquels ils peuvent donner lieu ? Ou bien inversement se désoleront-elles des exclusions, des replis, des rejets, sous prétexte d’une frontière ou d’une ressource disputée, d’un désir de conquête, de domination ou tout simplement de nuisance ? Y reconnaîtront-elles çà et là ce qu’Amin Maalouf qualifie « d’identités meurtrières » ?...
Assurément nous sommes les héritiers d’un découpage historique de notre monde réalisé à coups de traités, de canons ou de règles, mais aussi de conquêtes, de colonisations, d’indépendances, et près de 200 nations cohabitent aujourd’hui au gré d’ententes souvent mises à l’épreuve. Ce ne sont pas hélas les raisons qui manquent à alimenter de telles épreuves, y compris bien sûr lorsque celles-ci résultent de l’entretien de contentieux, de blessures passées, dans lesquelles certaines entités politiques trouvent hélas leur ciment intérieur et que des absences de règlement éclairé auront contribué à laisser prospérer. Or bien entendu, une croissance culturelle de l’humanité telle que nous la revendiquons et la posons dans ses possibles vertus & ses échanges illimités, suppose une véritable mise en commun des richesses, désirée, constructive. Certes, à la suite de la parabole de Michel Serres, nous parlons ici pour la plupart de richesses immatérielles. Cependant, que l’on ne s’y trompe pas, les équilibres précités, y compris dans leur perversion, y sont tout aussi sensibles voire davantage dans la constitution même des récits collectifs et la formation des esprits. De quoi interroger le sens même de l’éducation [III].
Mais auparavant, le contexte géopolitique que nous évoquons questionne fortement une autre dimension : celle de la « maison commune ». Est-il ainsi envisageable que l’humanité, si souvent crispée, a fortiori flattée par la constance de ces divisions, puisse mieux considérer cette « maison commune des humanités » dont les ressources vitales bien loin des jeux partisans, exigent une évolution sensible de notre responsabilité en tant qu’individu & collectivité ? Au passage, une telle orientation n’est-elle pas proprement éco-nomique, ce terme désignant effectivement « l’administration de la maison (commune) », en grec oikonomía… ?
4. La culture : « un idéal à atteindre »…

Si nous avons successivement accordé notre intérêt aux termes de « croissance », puis « d’humanité » à travers cette idée de « maison commune », il est bien sûr un autre éclairage pantopique à apporter à l’idée que nous nous faisons de la « culture » elle-même. Quoi de plus instructif de traverser alors les centaines d’indéfinitions que l’histoire de nos pensées a pu produire en la matière ? Où nous rappellerons que l’une des plus anciennes vient d’Edward Burnett Tylor (1832 - 1917), celui-ci désignant la culture comme :
« Un tout complexe qui inclut les connaissances, les croyances, l'art, la morale, les lois, les coutumes et toutes autres dispositions et habitudes acquises par l'homme en tant que membre d'une société ».
Cela n’empêchera pas des approches fort différenciées, telles que celle de Daryll Forde (1902 – 1973) soutenant que la culture « consiste dans les moyens traditionnels de résoudre les problèmes… » se composant en quelque sorte « des réponses qui ont été acceptées parce qu'elles ont obtenu le succès… ». Et voici que l’UNESCO en 1982 en proposera une définition jugée consensuelle.
Toutefois, qu’il nous soit permis de privilégier celle d’un poète, Kenneth White, disant dans son Traité de Géopoétique :
« … La culture (au sens général), c’est la manière dont l’être humain se conçoit, se travaille et se dirige. Ces trois aspects forment un ensemble indissociable car, si la culture offre une vision de l’homme, une conception de ce qu’est un être humain, elle insiste également sur ce qu’il pourrait être en fonction d’une direction, d’un idéal à atteindre. Selon moi, la culture devrait favoriser le travail sur soi et aider l’être humain à exprimer ce qu’il peut avoir de meilleur. »
Un « idéal à atteindre », voilà qui aura emporté notre adhésion, renvoyant aux racines latines du terme de « culture », pointant l’idée de « prendre soin ». Oui, prendre soin, en premier lieu de la terre, ou encore de la vigne [que l’on va retrouver dans « agriculture » ou « viticulture »], alors que le terme a fini par se porter également sur les activités humaines. Où l’on imaginera à partir de là le changement radical de perspective que constituerait l’idée de rattacher la culture au fait même de « prendre soin ». Prendre soin de nos héritages, naturels & culturels, prendre soin de nos sociétés, prendre soin des générations présentes & futures, au regard de nos devoirs de dignité et de justice ! C’est vers cet « idéal à atteindre », cette croissance vertueuse poursuivie au nom des humanités incluant le nôtre, que tend la « croissance culturelle ».
5. Soi, les autres, le monde… vivre en interrelations dans un monde complexe

« Deux illusions (…) La première est de croire que la complexité conduit à l'éliminitation de la simplicité… » - Edgar Morin
Dans un contexte en perpétuelle mutation... (etc)
III - Pour une encyclopédagogie
« À l’heure actuelle, nous sommes parvenus au stade où il nous faut enseigner aux gens ce que personne ne savait hier... » Margaret Mead
1. Le temps d’éduquer…

Au stade du Manifeste auquel nous sommes parvenus... (etc)
Encyclopédagogie – Indéfinition : Approche éducative qui pourrait débuter dès la prime enfance...
2. L’arbre & l’océan…

Il aura donc paru, appuyé par le terme d’encyclopédagogie lui-même... (etc)
3. 7 variables – 52 repères…

L’encyclopédagogie se pense donc également et très concrètement à travers une grille de lecture... (etc)
Repère – Indéfinition : Elément, fixe ou non, faisant partie d’un ensemble...
« Repères », le terme est ici central...
Repère [1], ce premier de nos 52… repères étant avancé, les 7 variables vont donc se répartir les 51 autres retenus selon le cheminement suivant.
Temps
Comment considérons-nous le temps [2] ? Quel est notre rapport à la vie [3] ? ...
Le temps. Un repère déterminant... (etc)
Espace
Comment nous situons-nous dans l’univers [12] ? ...
L’environnement. L’espace dans lequel... (etc)
Société
Comment considérons-nous notre place dans la société [18] ? ...
La société. Troisième de nos 7 variables... (etc)
Savoir
Que savons-nous [23] ? ...
Savoir. Quatrième variable... (etc)
Pouvoir
Quelle est notre relation au pouvoir... [33] ? ...
Le pouvoir. Une cinquième variable... (etc)
Economie
Que faisons-nous [37] ? ...
Faire. Une sixième variable... (etc)
Communication
Comment considérons-nous la communication [43] ? ...
La communication. La septième des variables... (etc)
Cette grille, arbitraire comme toute classification, et potentiellement sujette à divers ajustements...
4. Naviguer en diachronie & synchronie…
Une grille générale de navigation dans l’espace [et le temps]

La navigation dans les espaces du savoir... (etc)
5. Changer la façon commune de penser : la force de « l’indéfinition »…

Un autre outil aura pris toute sa place... (etc)
Jardin - Indéfinition (1) : Pour moi, un jardin est un espace...
Indéfinir - Indéfinition : Produire une définition personnelle...
IV - Une intelligence pantopique
« Donc, toute la question que je posais revient à celle-ci : si l’esprit humain pourra surmonter ce que l’esprit humain a fait ? » - Paul Valéry4
1. Une époque « intelligente » ?

Dirions-nous de notre époque qu’elle est « intelligente » ? ... (etc)
2. Une « intelligence du corps »…

Intelligence du corps - Indéfinition : Forme sensible et lucide de connaissance de soi...
3. Une « intelligence des émotions »…

Intelligence des émotions - Indéfinition : Forme profonde et évolutive de discernement affectif...
4. Une « intelligence de l’esprit »…

Intelligence de l’esprit - Indéfinition : Forme articulée, exploratoire et réflexive...
5. Une « intelligence assistée »…

Intelligence « assistée » - Indéfinition : Forme réflexive et critique d’interaction...
Conclurons-nous en tentant une synthèse...
Intelligence pantopique – Indéfinition : Loin d’être un bloc unique...
V - 5 temps
« Si tu veux que l’humanité progresse, jette bas toute idée préconçue... » - Sri Aurobindo
Diverses composantes du projet pantopique...
C’est ainsi que nous y débuterons par une invitation à écouter [1er temps]...
1. Premier temps : « écouter »…

Tout commence ou plutôt devrait commencer par écouter...
2. Deuxième temps : « connaitre »…

Voici alors que vient le 2ème temps : connaitre...
3. Troisième temps : « comprendre »…

Fort de cette écoute, riche de ces connaissances...
4. Quatrième temps : « se comprendre »…

Que serait toutefois comprendre sans l’élever...
5. Cinquième temps : « communiquer »…

C’est alors, c’est alors dirons-nous « seulement », que vient le temps de communiquer...
VI - Conférence(s) pantopique(s)
« J’estime que la plus grande part des misères de l’humanité est due aux estimations erronées qu’elle fait de la valeur des choses ». Benjamin Franklin
1. Il était une fois la Conférence pantopique…

Alors que l’axe pantopique se précisait...
2. Une démarche collégiale & prospective…

Si l’on songe aux formes d’une telle Conférence...
3. Déterminer une problématique, puis la décliner…

Au-delà de son assemblée, un autre élément constitue un pilier majeur...
4. Un espace-temps de rencontres, de découvertes, d’exposition… le tout en 5 temps

La problématique déterminée, sa mise en application s’agencera autour de la structure des 5 temps...
5. Un témoign’âge pour chaque Conférence…

Soulignons enfin que toute Conférence pantopique s’incarnant dans sa propre histoire...
…À vous de jouer !
Il semblait opportun, à propos du témoign’âge des conférences...
VII - Avec un Carnet pantopique
« La vie est un mystère qu'il faut vivre, et non un problème à résoudre. » - Gandhi
1. Un compagnon pour la vie…

Tandis que nous débutions ce Manifeste...
2. Un journal de « culture générale »… tout au long de la vie

La vie est une forme d’agenda sur lequel viennent se fixer des rendez-vous...
3. Un outil actualisé… de suivi de la Conférence pantopique

Certaines personnes n’ont jamais varié dans leur définition des choses...
4. Parce que tout est en relations…

Où il nous sera sans doute venu à l’esprit que le Carnet pantopique...
5. Place à la créativité…

Il pourra paraître à certains quelque peu paradoxal...
… Un Jeu des Perles de vie
« S’amuser » disions-nous ici ? ...
Epilogue
Pour conclure le Manifeste pantopique, nous choisirons la force d’une image simple. Une image enchaînant les 5 temps pantopiques…

… Tout commence par une graine chutant dans un sol nu...

La graine désormais enfouie dans la terre amorce un mouvement invisible...

Puis voici qu’un jour, imperceptiblement, une première tige perce la surface...

Et la pousse grandit devenant un arbre robuste...
Enfin, voici cet arbre qui découvre ou confirme qu’il n’est pas seul...
À l’heure de grands défis, environnementaux...
1. en 2014 – dans un entretien à Médiapart
2. ce que l’esprit humain a fait ? » - Paul Valéry (Le bilan de l’intelligence – 1935)
3. Tous deux en partenariat de production avec l’Ecole Sup’de Com
4. Le bilan de l’intelligence – 1935
5. Destutt de Tracy - Mémoire sur la faculté de penser –1796
Ce Manifeste a été finalisé durant l’été 2025 par Eric, à Bordeaux – France ©