Qui aurait imaginé il y a quelques mois que les termes de « masque », de « gel hydro-alcoolique », de « gestes barrières », de « drive (service-volant, point-retrait) » ou bien entendu de « confinement » et de « coronavirus »... prendraient le dessus sur les usuels de la conversation quotidienne ? Ainsi va le Top 10 du langage, oscillant sur le flot des événements, des modes et de leur actualité, plus ou moins soudains et brutaux. Avec eux des champs sémantiques se créent, de nouvelles références, de nouvelles associations mentales, psychiques, cognitives ou mémorielles, s’opèrent pour un temps donné, quitte à ce qu’une autre déferlante, plus puissante, plus contemporaine un jour les emporte, ne récusant en rien leur survivance profonde.
Il y a bien sûr l’obsédant « coronavirus », association de corona qui renvoie - entre autres cigares et bières - à la « couronne de lumière apparaissant autour du soleil » [liée à l'apparence des virions au microscope électronique] et « virus », emprunté au latin virus : « suc des plantes » puis « venin, poison ». Que nous le nommions en russe коронавирус, en chinois 冠状病毒 (composé de 冠状 : « couronne » et 病毒 : « virus) ou encore en hindi कोरोनावायरस, comme de bien d’autres manières, le terme s’est octroyé une morbide primauté dont les répercussions – également sémantiques – seront nombreuses. Je pense tout particulièrement aux esprits des plus jeunes parmi nous, et à l’inscription durable de ce terme en leur psyché...
Parmi d’autres incontournables de l’heure, il y a très certainement le mot « masque ». Longue histoire que la sienne. Le terme est un emprunt à l'italien maschera, qui vient d’un radical préroman °maska lequel signifie « noir » et qui a donné masca, désignant tardivement un « masque » mais aussi une « sorcière », un « démon ». Où l’on retrouvera son influence sur le mot « mascotte » pointant à l’origine un « envoûtement », un « sortilège ». (AREY)
Quant au « confinement », jusqu'à récemment, celui-ci renvoyait occasionnellement à « l’isolement carcéral » ou encore au « confinement nucléaire » et à son enceinte... Ce mot est à rapprocher de « confins », à savoir des « limites d’un territoire », du latin confinium : « voisin, contigu »... Ah les voisins ! parlons-en, un beau terme à indéfinir en ces temps, avec toutes les situations anecdotiques, souriantes, improbables, hallucinantes ou déplorables que cette proximité peut révéler...
Si l’on fait un petit tour des langues et des choix de vocables opérés en matière de « confinement », les anglophones, à côté du « containment », parleront de « lockdown » (vraiment enfermé.es). Les germanophones pourront évoquer la « Quarantäne » issu du français « quarantaine », venant lui-même de l’italien et désignant une « quarantaine de jours ». On trouverait les premiers exemples de quarantaine à Raguse (actuelle Dubrovnik), puis dans la cité vénitienne au 14e siècle. C’est au détour du siècle suivant qu’aurait été mis en place toujours à Venise le premier « lazaret », lieu d'isolement sanitaire pour les personnes qui arrivent dans un pays en étant (supposées ou réellement) malades.
Bien d'autres termes mériteraient amplement de rejoindre ces lignes, et les rejoindront. N'hésitez pas à les proposer à notre réflexion commune. Mais par-delà ces mots, par-delà leur signification, j'aimerais une fois encore insister sur la complexité propre à leur saisie. Nous avons choisi d'emblée d'en aborder l'interdépendance au travers d'une première grille, thématique, constituée de 25 dimensions [chronique (3)]. Où il aura peut-être paru que nous vivons plus que jamais dans un entrelacs de notions enchevêtrées dont la transparence aurait pu hier paraître illusoire tant elles s'inscrivent dans des contextes, des pratiques, des opinions, des savoirs, des cultures... hautement différenciés. Pourtant, c'est à une forme de convergence que nous semblons assister, comme si quelque chose de plus fort, de plus essentiel que cette différenciation, se jouait en ces heures qui arpente encore timidement les chemins d'une humanité rappelée à son exigence de sens [chronique (5)]. Deux autres grilles seront aussitôt convoquées pour en poursuivre le "tiss'âge"... à venir ,-)
(Illustration – Quelques écritures du coronavirus...)